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Permathérapie : Bétons et poivrons ? Un autre regard

Billet 39 – L’agriculture urbaine

C’est quoi l’agriculture urbaine ? Elle provoque de nombreux débats d’opinions tant ces deux mots accolés interrogent par leur opposition. C’est sûr que le vocabulaire est important, car si nous remontons à son étymologie, le mot agriculture vient du grec cultiver les champs, or en ville nous n’avons pas de champs.

Les potagers urbains pourraient être plus appropriés comme terme, car ils désignent les endroits où l’on cultive les légumes pour mettre dans le potage. Pourtant l’été nous n’aimons pas trop consommer de potages, mais plutôt de la ratatouille et autres salades de tomates, concombres et haricots verts.

Le potager concerne la partie du jardin dédié aux légumes, c’est le jardin potager. Alors comment nommer les bacs de culture de légumes ou petits fruits aménagés en milieu urbain, sur du béton, des terrasses et autres interstices de la ville ?

Il n’y a pas de mots pour désigner ce qui ne se faisait pas autrefois : mettre dans un bac des cartons bruns, du bois morts, des feuilles mortes alternés en couches avec des coupes fraîches de feuilles et d’herbe, des épluchures de légumes, autant de ressources qui généralement sont destinées à partir à la déchèterie ou être tout simplement brûlées !

L’hort est un substantif pour désigner jardin et verger. On pourrait alors inventer le mot « l’horturbain », la culture « horturbaine ». Pourquoi pas, je lance l’idée.

Donc on innove, et comme souvent, l’innovation heurte les esprits qui n’apprécient pas la nouveauté et en conséquence opposent nombre d’objections.

Dans la Noble Tâche, en libre téléchargement ICI, le fonctionnement de notre mental est largement décrit et montre qu’il nous pousse à longueur de temps à comparer donc à juger, ce qu’il a en mémoire et qu’il connait déjà, avec les informations perpétuelles qu’il reçoit en permanence. Soit ça lui convient, c’est conforme à ce qu’il connait déjà, alors tout va bien, le sujet, c’est-à-dire vous, moi, se trouve en sécurité, soit ce n’est pas conforme et là, c’est le branlebas dans le corps émotionnel pour montrer que l’on sort de notre zone de confort. Vous pouvez lire le billet n°17 – Entretien d’embauche de MM. Ego et Mental, ou mes écrits précédents.
Mais ce n’est pas le propos du jour.

Le sujet d’aujourd’hui va porter sur l’appel du 1er avril 2020 à collaborer, à participer au retour à notre autonomie alimentaire de manière collective et individuelle.
Beaucoup d’éléments de réponses sur la question de l’autonomie alimentaire sont données dans le livre « En route pour l’autonomie alimentaire – guide à l’usage des familles, villes et territoires » aux éditions Terre vivante.

Changer de regard sur la vie d’avant

Tout d’abord, il s’agit de changer complètement de regard sur la vie d’avant, celle de la mondialisation de la production et de l’approvisionnement de notre nourriture dans le contexte biaisé de la financiarisation et l’industrialisation de tout ce qui peut l’être (billet 37).

Ensuite de ne pas se laisser abattre par un sentiment puissant d’impuissance qui va vous paralyser. C’est pourquoi, il est fondamental de changer de regard. De ne plus regarder ce qui se faisait avant et comment on peut réparer les dégâts, en s’adressant aux mêmes personnes et instances qui ont provoqué ces modes de productions et de marchandisation. Non, il s’agit de regarder directement autour de soi et en soi.

Regarder autour de soi et en soi

Autour de soi c’est son territoire, en soi c’est ses capacités à aller chercher ses ressources propres intérieures : ses talents, savoir-faire, inspirations, intelligence, volonté d’apprendre, de partager, sa capacité d’action dans le respect du vivant et du partage équitable. Ça c’est la base absolue que rien ne peut démonter.

Alors, comme la civilisation urbaine s’est fortement développée, que les campagnes se sont vidées, que l’agriculture s’est industrialisée, « technologisée », « chimisée » et mondialisée, et que des générations entières grandissent « hors sol » loin de la connexion à terre, comment faire pour revenir à soi et à la terre ?

C’est cette recherche que poursuit François Rouillay depuis 2012. À partir de 2016, ensemble, nous avons expérimenté les bacs potagers sur notre terrasse à Aigues Mortes, en plein mistral, également sur un ancien terrain de tennis en béton à Montcalm en Camargue Gardoise en plein mistral aussi et terre sablonneuse, et enfin sur un autre ancien terrain de tennis en Corse, à 1200 m d’altitude au col de Vizzavona. Nous avons toujours, toujours récolté plein de légumes : tomates, concombres, pommes de terre, courges, butternuts, haricots, poivrons, salades, fraises, cornichons, petits pois, poireaux, ciboulette, choux romanesco, choux rouges, choux fleurs, choux kale, fenouil, basilic, courgettes, oseille, verveine, thym, sauge, persil.

La technique est simple : elle s’appuie sur la culture en lasagnes par une alternance de matériaux bruns qui contiennent du carbone et vert qui apportent de l’azote.

Les déchets végétaux utilisés, ainsi que les cartons bruns, vont en général à la déchèterie dans les villes ou sont brûlés. Il suffit de les voir comme une ressource pour fabriquer le sol dans lequel on plantera.

Alors lorsque l’on porte son regard autour de soi, on va voir ce qui peut constituer une ressource pour mettre dans un bac potager. Voir à ce sujet le potager étagé en lien ICI.

C’est sûr qu’il y a plein d’endroits qui constituent un désert de béton comme la dalle de la Défense ou la rue de Rivoli à Paris, par contre, dans les quartiers autrefois appelés ZUP, ou les banlieues, se trouvent plein d’espaces où il peut être planté des végétaux comestibles.

On peut très bien procéder à la réalisation de ces potagers urbains en bac ou directement en terre dans les jardins des lotissements, ou dans les parcs public ou ceux des copropriétés, ou dans les espaces verts d’ornementation des hôpitaux, des maisons de retraite, des lycées, collèges, et autres équipements publics divers et variés. Ainsi, si vous orientez, focalisez votre regard sur ce qui vous entoure, sur votre propre territoire, vous allez découvrir un nombre inimaginable d’espaces de toutes sortes à cultiver.

Si vous n’y connaissez rien, ce n’est pas grave car il y en a d’autres qui savent et qui peuvent vous enseigner pour autant que vous souhaitiez apprendre et vous y mettre vous aussi et… aller à la rencontre de l’autre.

Les objections

En conférence, on nous a souvent formulé les objections suivantes :

Est-ce que l’on ne va pas faire concurrence aux maraîchers locaux ?
Mais l’autonomie alimentaire est une utopie, et pour les bananes, le chocolat et le café comment on fait ?
Où trouver ce qu’il faut pour mettre dans les bacs ?
Et la pollution des voitures sur mes salades ?

1 – Avez-vous une idée du niveau de déconnexion d’une grande partie de la population de la manière dont est produite leur nourriture ? Certains ne savent même pas ce qu’est le maraîchage. Ils ne connaissent que le surgelé, les conserves, le four à micro-ondes. Les personnes investies dans la banque alimentaire témoignent que les légumes comme les choux fleurs sont acceptés puis mais jetés discrètement à la poubelle car les personnes servies ne savent quoi en faire. Installer des bacs potagers urbains apporte justement une reconnexion à la terre, à la production de légumes, aux voisins, on se parle et donc cela stimule l’idée de se rapprocher des producteurs locaux.

2 – Pour les produits exotiques, ils représentent une habitude alimentaire luxueuse et finalement pas vraiment vertueuse au regard des prix payés aux exploitants, je dirais mieux aux exploités, ainsi que pour le transport, la conservation, la transformation. Nous ne mourrons pas  de faim, ni ne serons dénutris s’ils venaient à manquer.

3 – Où trouver ce qu’il faut mettre dans les bacs ? Ceci est une très bonne question. Pas sur la dalle de la Défense ni rue de Rivoli c’est sûr. Il faut apprendre pour cela, à former son regard à voir la ressource autour de chez soi et à savoir la prélever judicieusement dans le respect des équilibres de la biomasse.

4 – Quant à la pollution par les voitures, c’est aussi une bonne question qui demande d’avoir du bon sens pour placer ces bacs aux bons endroits. Dans tous les cas, la concentration urbaine nourrit les pollutions de toutes sortes : dans l’eau, dans l’air et la terre. Il faut regarder le bilan global entre une nourriture produite par une agriculture « ogémisée » et « pesticisée », et celle dont nous avons pris soin dans notre bac situé judicieusement au plus proche de nos demeures.

Donc en regardant autour de soi et en s’informant un tant soit peu, il est possible de pratiquer de l’agriculture urbaine personnelle (il n’est pas question ici de l’agriculture technologique développée par des entreprises, mais par les gens eux-mêmes) ce qui nous ramène au contact du végétal vivant.

Regarder en soi

Maintenant regarder en soi. Pourquoi ? Pour aller voir simplement ce qui nous empêche de changer d’habitudes, de penser par soi-même, de réfléchir, de retrouver le bons sens du respect du vivant, d’être créatifs, de se lancer dans des actions en phase avec la réappropriation de la production de notre nourriture.

Regardez et alignez les deux visions : en vous et autour de vous en vous focalisant sur le sujet de l’autonomie alimentaire qui nous a complètement échappé.

Je vous laisse observer.

Sabine Becker
Le 7 avril 2020

Crédit photo : Sabine Becker. Récolte de légumes et de fleurs cultivés sur une terrasse en béton dans des bacs, à partir de la technique dite en lasagnes

 

 

 

 

 

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